Le prix à payer pour les locaux dont on n’est pas toujours conscient, après ma conversation avec M cette nuit-là je ne suis plus la même touriste quand je visite un nouveau lieu, je me demande toujours le sacrifice derrière un endroit bondé de gens, des foules d’étrangers en sac à dos, ou les arrières plans des stories sur Instagram de ces influenceurs….
M était absorbé dans son récit, et moi je buvais tout ses mots, je lui posais de centaines de questions, pour lui, il décrit son quotidien, mais pour moi c’était un voyage temporel vers un passé pas si lointain ou la vie était simple, les gens du village se connaissent tous entre eux et le moindre étranger était repérable des kilomètres à la ronde.
Ma conversation avec M était aux antipodes avec mes voyages ailleurs, le village où se passe l’histoire est aux fins fonds des montagnes du Rif, un endroit qui a réussi jusqu’à très récemment à résister à la mondialisation, des gens simples avec une vision simple loin de celle de la Capitale, pour des générations ce sont les mêmes familles qui ne se mélangeaient qu’entre elles, avec un passé unique, une histoire unique. Sans ou avec très peu de communication avec le monde extérieur, leurs traditions et leurs valeurs sont restés intactes.
Ce qui faut comprendre sur le nord du Maroc ou le Rif, qu’est qu’ils sont des gens uniques en leurs genre, même de moi « la marocaine ». Ils ont une grande fierté et un amour inconditionnel pour leurs terres, au moment de la colonisation nous devons en grande partie notre indépendance aux hommes fiers du Rif. Leur respect est infaillible et leurs valeurs intransigeantes. Mon récit n’est nullement une accusation qu’ils sont fermés d’esprits. Au contraire je suis en plein curiosité et d’admiration devant une mentalité que je ne connais pas, j’éprouve un immense respect pour leur intégrité, je me devais de le mentionner.
M m’avais décrit la vie avant, et de ma propre observation je me rends compte que le tourisme d’apporte pas que du bon. Certes la roue de l’économie semble mieux tourner. Mais les plages sauvages sont envahies de touristes, qui ne soucient malheureusement pas de bien conserver les lieux. Ils laissent derrière eux des tonnes de poubelles partout. Sans parler du choc culturel devant certains agissement qui peuvent être interprétés différemment, ce qui peut malheureusement mener à des frustration des deux parties ou même des bagarres. Nous sommes des visiteurs dans ces lieux, je trouve qu’il est important de se poser des questions avant d’entretenir des gestes qui peuvent affecter les locaux, même s’ils restent acceptables à nos yeux. La liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres.
M me décrit sa vie, à 24 ans il est déjà père de famille, durant la saison il conduit un grand taxi, et durant les longs mois d’hiver il travaille comme pêcheur, finir ses études n’était pas un luxe qu’il a pu se permettre, le village ne contient qu’une école primaire, pour le collège et le lycée il faut chercher dans la ville la plus proche. Pour la couverture médicale c’est bien pire, l’accès au médecin n’est pas donné à tout le monde, l’accès au village via la petite piste ne facilite pas les choses non plus, alors je ne puis m’empêcher de penser à des morts qui ont pu simplement être évitée. Et soudain je réalise à quel j’étais privilégiée sans le savoir.
M ne regrette pas sa vie, il a une gratitude qui me laisse sans voix, sa vision du monde m’était déroutante. Du moment qu’il peut travailler et subvenir aux besoins de sa famille, il était ravi. Même si j’ai décelé qu’il était fatigué, il avait pris le rôle d’un adulte bien trop tôt, il vit toujours sous le même toit que ses parents. Chose pas totalement inhabituel pour les Marocains, mais j’aurai pu imaginer qu’il puisse avoir rêvé de quelque chose de différent.
La conversation nous mène au sujet du mariage, M s’est marié à 20 ans, à une cousine. M m’explique que dans son village on ne se marie qu’entre cousins. Si quelqu’un exprime le souhait de se marier en dehors du village ou du village voisin (ce qui est acceptable aussi), il sera renié par sa famille. Il m’était très frustrant de faire taire madame je sais tout que je suis parfois, je me suis retenue d’expliquer les dangers des mariages consanguins. Mais j’étais indignée devant un tel refus de laisser les gens épouser qui ils souhaitent, j’imagine que pour les filles c’est bien pire, sans accès à l’école, on les marie très jeunes, elles sont peut-être épanouies dans leur rôle d’épouses et de mamans, mais j’aimerai plus l’idée qu’elles l’ont fait par choix et non par obligation.
Je n’ai pas pu m’empêcher de comparer ce petit village à d’autres destinations touristiques marocaines, j’imagine que j’ai eu la chance d’assister à une transition de tout un village devant le mélange de cultures, d’ici quelques dizaines d’années il sera complètement différent. Durant ma visite j’ai remarqué des travaux routiers pour donner un meilleur accès au village. L’endroit est mentionné de plus en plus par des influenceurs voyages que je suis sur Instagram. De plus en plus de touristes afflueront les années prochaines, plus d’accès à des technologies comme le téléphone et internet, peut-être un centre hospitalier, un collège ou un lycée. Mais à quel prix ? le village gardera son identité ? ou sera forcé d’évoluer pour suivre le changement ? franchement je n’ai pas de réponse, j’imagine que toute bonne chose a un prix, sommes nous prêts à le payer ?